Les ruines d’Arles d’après guerre, les gitans de Sainte-Marie de la Mer, les scènes de tauromachie, les plages et les marais, leur sable et leur lumière… les paysages de Camargue sont une constante fondamentale dans l’oeuvre de l’arlésien Lucien Clergue. Depuis longtemps, il fréquente les arènes d’Arles. Il perçoit dans la corrida, et dans la mort du taureau en particulier, une forme de réactivation du patrimoine mythologique. En 1955 il fait ses premières photographies de taureaux dans l’arène.
La première rencontre avec Picasso a lieu en 1953 à la sortie des arènes d’Arles. Le peintre devient le modèle de célèbres portraits et lui fait connaître Jean Cocteau qui l’invite à photographier le tournage de son film le Testament d’Orphée. Cocteau lui prodigue quelques conseils, et notamment, comme le souligne Tournier, « il l’a supplié de rester à Arles, de ne pas briser ses racines ». Cocteau et Picasso vont s’associer pour aider le jeune photographe à publier son premier livre. Il s’agit de l’illustration de quatorze poèmes de Paul Eluard regroupés sous le titre Corps mémorable : Cocteau écrit le poème liminaire, Picasso dessine la couverture, et la première édition de l’ouvrage paraît en 1957. L’occasion pour Clergue de montrer ses premiers nus marins, ainsi que les qualifie Michel Tournier.
Ces nus auxquels le nom de Clergue va bientôt être régulièrement associé, et qui feront dire à Cocteau qu’il « fut sans doute le seul témoin de la naissance d’Aphrodite ». Ces clichés de nus dans la mer de Camargue feront l’objet d’un autre ouvrage exclusivement photographique publié en 1968 Née de la Vague.
En 1976 ses premières photographies de paysage de Camargue sont publiées dans l’ouvrage Camargue secrète : « J’allais dans la campagne arlésienne pour découvrir un étang où la mort s’inscrivait d’une autre manière : eaux mortes, arbres morts, herbes desséchées (…). Atour de cet étang, peu à peu, je découvrais tout un alphabet de signes dans les rizières, les champs de roseaux, les joncs, les vignes, les maïs». Selon Tournier, Clergue doit cette réussite à l’attachement qu’il voue à sa terre : « Il a eu la chance, si rare en notre époque de déracinement et d’errance, d’appartenir tout entier au coin de terre où il est né».