Prenant pour point de départ une réflexion sur les différentes pratiques de la création photographique contemporaine d’une part, et le lieu mythique que représente l’hôtel La Louisiane d’autre part, PhotoSaintGermain a proposé à une dizaine d’artistes d’investir une chambre d’hôtel pendant quatre jours autour du thème du corps et de ses représentations.
Dans la continuité de l’énergie créatrice qui émane de La Louisiane, connue pour sa tradition d’accueil des artistes depuis les années 1930, le festival présente chaque année depuis 2022 une intrication de plusieurs curations liées à l’image et son utilisation entre performance, exposition, et publication.
Chambre 31 Emmanuelle Fructus · Un livre - une image La chambre des patiences
Emmanuelle Fructus propose aux visiteurs de consulter l’archive qu’elle a patiemment collecté durant une vingtaine d’années avant le départ définitif de cette dernière à la Société française de photographie (SFP). Cette association, fondée en 1854 par un groupe d'amateurs, de scientifiques et d'artistes, dorénavant installée à La Bibliothèque nationale Richelieu, accueillera les 30 000 photographies de la Collection un livre – une image, rendues accessibles auprès de la communauté des historiens, chercheurs et artistes.
Une série de performances et de publications vont permettre aux visiteurs de faire l’expérience concrète de cette archive consacrée à la photographie amateur et anonyme de 1880 à 1980. Pensée depuis sa création comme une tentative d’inventaire de la photographie de famille, l’ouverture des boîtes se fera par le visiteur qui pourra s’imprégner de cette collecte d’images. Cette exposition est une ode à la consultation de documents photographiques, où regards comme gestes sont convoqués.
Chambre 32 Nanténé Traoré The perfect photography (is a painting)
The perfect photograph (is a painting) est avant tout un rêve de peinture. Tout en mettant en scène des personnes dont les corps ont été effacés par l’histoire de l’art, cette série redonne également une agentivité à ces corps dissidents, qui ont souvent servi de sujet passif aux artistes peintres masculins. Elle puise son inspiration dans les codes oniriques et sensibles du préraphaélisme, et propose finalement une réécriture décalée de l’amour et de la mort, dont les différentes techniques utilisées rendent poreuse la frontière entre image photographique et création picturale.
Chambre 33 Gil Lesage Dreams of light
Collaboration curatoriale : Anne Racine
Mes photos de Castiel sont des témoignages saisis sur le vif, des instants de vie sur une vingtaine d’années. À 16 ans, Castiel a commencé une transition de genre. Ce qui était comme un jeu créatif s' est vite mué en témoignage; ce qui ne pouvait être dit en ressort et est devenu flagrant. Les secrets et la douleur de Castiel se sont imprimés dans les négatifs criant leur présence. Des images d'enfant sauvage en rapport harmonieux avec la nature sont peu à peu apparues comme des images ou la forêt est le refuge de l'enfant.
Un refuge parfois bien fragile.
Gil Lesage
Chambre 34 Hélène Giannecchini & Félixe Kazi-Tani Hunger makes you restless
Commissaire : Cécilia Becanovic
Elles tiennent des bouteilles, présentent des plats, lèvent leurs verres pour trinquer, coupent des gâteaux, mais elles ne mastiquent, déglutissent, n’engloutissent jamais. Pourquoi ? Pourquoi les photographies de femmes qui mangent sont-elles si rares ? Qu’est ce qui rend cette vision insoutenable ou scandaleuse ? L’artiste Félixe Kazi-Tani et l’écrivaine Hélène Giannecchini proposent une installation mêlant photo et littérature qui tente d'interroger cette absence de représentation.
Chambre 35 Ken Graves & Eva Lipman
Cortona on the move Restraint and Desire
Restraint and Desire est l'aboutissement d'une collaboration de 31 ans entre Ken Graves et Eva Lipman. Le couple a documenté un ensemble de sujets important et varié, tels que des compétitions de danse, des combats de boxe et des cérémonies militaires, puisant dans une gamme d'émotions qui mettent en évidence les tensions cachées entre la séparation et l'intimité, la libération et le confinement, la vulnérabilité et l'excès. Les motifs communs à ces œuvres sont les corps en mouvement, la volonté humaine de prendre des risques, l'impossible quête de la perfection et les rituels qui marquent le passage à l'âge adulte. Graves et Lipman mettent en lumière ce qui se cache sous la surface, ces moments que, collectivement, nous pourrions souhaiter dissimuler.
La série se déroule à l'intérieur d'un camping-car abandonné, ayant appartenu dans les années 80 au leader d’une secte. J'y ai travaillé avec un groupe de filles gender fluid issues de l'Amérique rurale pauvre, secouée par les épidémies d'opioïdes. Un flux de créativité commun nous a permis d'exprimer, par la photographie, le cri de notre tragédie humaine et de notre situation sociale claustrophobique, au bord d’exploser. De par mon histoire personnelle, je me reconnais dans ces filles des caravanes, ignorées, hors-la-loi, menant une rébellion désespérée : j'y vois mon passé et j'y prévois l'avenir. CULT c’est le culte de la mort, des religions, des drogues, des célébrités, des réseaux sociaux, de l'argent, du suicide, du succès, de la beauté, du cinéma, de la littérature, des armes, de la mode, de la sexualité, de la jeunesse, et évidemment du corps. Le corps tantôt dans l'ombre du prédateur, tantôt dans la lumière naturelle dorée qui fait ressortir les reflets et les cicatrices.
C’est un atout mais aussi un fardeau : un corps conjointement torturé, adoré, maltraité, asservi, transformé, orienté vers le profit du sexe, de la consommation et de la guerre.
Sous-estimé, surestimé, il est pétri de désirs et de douleurs, dont la seule limite est la mort. J’ai voulu mettre en scène les corps épiques et poétiques de ces filles, capables de s'adapter aux conflits comme des caméléons, suggérant in fine la possibilité d'une transcendance.
Maya Mercer
Chambre 37 Lusted Men
Lusted Men est une collection de photographies érotiques d’hommes, qui rassemble des images confiées par des photographes de pratique professionnelle ou amatrice, sans distinction de genre ou d’orientation sexuelle. Partenaires, amours, modèles, amis ou autoportraits s’y déploient sur des centaines de photographie, proposant autant de manières de recomposer nos liens affectifs et érotiques au XXIe siècle.
À l’occasion de la sortie du livre Lusted Men aux éditions Hoëbeke réunissant les 5 années de collection, Lusted Men revient à PhotoSaintGermain et exposera pour la première fois les images reçues en 2023. Lusted Men est une archive vivante des visions de l’érotisme des hommes qui bouscule joyeusement les représentations de genre et réaffirme la dimension politique de nos désirs.
Chambre 38 Marianne Marić Filles de l'Est
En 2012, Marianne Marić s’installe à Sarajevo pour une résidence pas comme les autres. Si elle n’a plus aucun souvenir de la ville, du pays, des paysages, elle partage pourtant un lien douloureux avec l’Ex- Yougoslavie. Elle veut apprivoiser une histoire complexe. Elle a souhaité se rendre sur place pour se confronter à son histoire, celle de sa famille (son père est né à Kupres, un village serbe de Bosnie) et plus particulièrement celle de Yéléna, sa soeur. À 16 ans, Yéléna quitte l’Alsace et sa famille pour tenter sa chance à Paris. Elle est grande, blonde, les yeux verts, on lui propose de devenir mannequin. Huit ans plus tard elle meurt violemment. Retrouvée découpée, comme la Yougoslavie. Sa perte engendre un silence que l’artiste a voulu briser par l’image, le voyage et la rencontre. Elle marche sur un fil, celui de son histoire pour tenter de recoller les morceaux avec elle-même. En Bosnie, elle rencontre des jeunes femmes qu’elle photographie. Au départ, de sont des femmes sans têtes, sans identité.
Elle poursuit le non-souvenir de Yéléna. Aujourd’hui, les visages apparaissent, l’apaisement se produit. Ainsi, Marianne Marić associe la femme-objet, la marche (mannequin, militaire, mémorielle) et la cicatrice en télescopant son histoire avec celle d’une région traumatisée par une guerre fratricide. Elle photographie les filles, l’architecture, la nature, la ville marquée par la violence (les obus tombés du ciel ont imprimé sur l’asphalte des empreintes en forme de fleurs que les habitants ont peint en rouge, les Roses de Sarajevo). L’artiste observe les traces d’un passage violent sur un pays en reconstruction, tout en recherchant les fondations de sa propre histoire. Les mémoires sont morcelées, il s’agit alors, par la production d’images, de réconcilier les histoires et les êtres, de combler les fissures. En activant une marche à la fois initiatique et libératrice, l’artiste part se confronter aux souvenirs pour créer sa propre histoire, ses images empreintes de fragilité, d’insolence et d’innocence en sont les nouvelles traces.
Julie Crenn
Chambre 40 Shuwei Liu
Cafétéria Marine Peixoto Café Dosette
Marie-Hélène travaille dans le service « Direction Citoyenneté Proximité » de la ville de Montpellier, c’est aussi ma mère et je passe souvent la voir à son bureau. Notre familiarité et la confiance qu’elle m’accorde me permettent d’observer de près un exemple d’existence humaine. La série isole et documente un fait ordinaire de son environnement de travail.
Avec le soutien de
Hôtel La Louisiane
C’est dans un écrin de tous les chaos, libertés, bavardages insensés et pourtant précieux que l’Hôtel La Louisiane a construit son identité ; au 60 rue de Seine en plein coeur de Saint-Germain-des-Prés. Depuis Rimbaud et Verlaine, les artistes, créateurs et voyageurs en quête d’étonnements s’installent le temps d’un bref séjour d’une résidence — parmi ceux qui y ont vécu : Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Juliette Gréco, Lucian Freud, Albertine Sarrazin, Syd Barret, Keith Haring, Quentin Tarantino et d’autres contemporains à qui l’Hôtel La Louisiane doit la discrétion.