Laura Ben Hayoun Stepanian, Lotfi Benyelles, Michel Slomka
Pour la seconde fois, après l’exposition Lire les lignes du monde en 2023, le Centre national des arts plastiques s’associe au festival PhotoSaintGermain pour une exposition collective à la Galerie du Crous.
Les projets de Laura Ben Hayoun Stepanian, Lotfi Benyelles et Michel Slomka sont ici rassemblés autour du thème de la mémoire. En établissant un parallèle entre l’historiographie et la photographie, ces artistes enquêtent sur des moments et des lieux importants de l’histoire mondiale : le génocide arménien et ses traces aujourd’hui avec Laura Ben Hayoun Stepanian, les camps de concentration et leur mémoire encore ensevelie et réexaminée avec Michel Slomka, l’histoire des vies et formes d’une ville marquée par les processus de colonisation et de décolonisation avec Lotfi Benyelles.
Par leurs méthodologies d’investigation, en faisant appel aux sciences humaines et sociales, elle et ils inventent des formes nouvelles pour faire de la photographie la matière d’une histoire inédite, révélée par l’examen de faits et micro-événements parfois invisibles et ignorés jusqu’alors.
Leurs projets ont bénéficié du soutien à la photographie documentaire du Cnap.
Laura Ben Hayoun Stepanian Teach me how to sew/saw · Apprends-moi à coudre/scier (2019-en cours)
"Teach me how to sew/saw (Apprends-moi à coudre/scier) s’établit entre la France et l’Arménie. J’y suis les trames ambiguës tissées entre diaspora et Arménie indépendante. Une grande partie de la diaspora arménienne est arrivée en Europe à la suite du génocide de 1915. Venant de territoires aujourd’hui situés en Turquie, nombre ne se reconnaissent pas dans l’Arménie actuelle.
C’est à travers une histoire du textile et des motifs que je questionne ces identités. Les symboles qui se répètent dans les tapis et les tatouages (la grenade, les mots en arménien) sont des hymnes à la fécondité et à la prospérité. J’ai eu très vite envie de les questionner avec d’autres jeunes femmes. Les tapis sont aussi des territoires. Durant ce travail au long cours, l’Arménie a connu des bouleversements énormes : une révolution en 2018 puis la guerre avec l’Azerbaïdjan.
Le voyage commence à l’usine de tricot où travaillaient mes grand-tantes arméniennes à Valence (France) et m'emmène à Erevan, la capitale de l’Arménie, mêlant ma voix à celles d'autres arméniennes. Se mêlent ici des histoires intimes et familiales à celles d’un pays pris dans les déchaînements géopolitiques et religieux, du XXe siècle à nos jours. L’ensemble fonctionne comme un chœur, démultipliant les identités arméniennes et diasporiques."
-Laura Ben Hayoun Stepanian
Photographies, vidéos, textes, tapis.
Lotfi Benyelles
Le travail de Lotfi Benyelles interroge l’inconfort et la perturbation des espaces intimes que vit l’habitant de la ville moderne. Il trouve son origine dans sa chambre d’enfant, à Alger, qui donnait sur l’esplanade d’où De Gaulle avait prononcé son célèbre “Je vous ai compris”. Construite à l’origine pour être un salon, la pièce était devenue à l’indépendance un espace partagé : chambre d’enfants la nuit qu’il fallait réagencer en pièce d’accueil en journée.
Plus tard, une image le marque : les habitants des bidonvilles émergeant des ravins algérois et empruntant les chemins de terre que leurs trajets répétés tracent aux abords des routes.
Adulte, il choisit la photographie et décide de travailler sur l'expansion territoriale de sa ville natale. Il y explore les dynamiques urbaines, sociales et familiales qui façonnent la ville d’Alger. À l’interaction des espaces publics et privés, il s’intéresse aux rituels urbains des habitants. Ces moments, souvent ordinaires en apparence, sont imprégnés de significations sociales et mémorielles qui forgent l’identité de la ville. Son travail éclaire aussi la relation complexe entre les individus et leur environnement bâti. En documentant la transformation des habitats et des quartiers, et en examinant l’évolution historique des bidonvilles dans le cadre de l’urbanisation continue d’Alger, Lotfi Benyelles dresse un portrait nuancé d’une métropole en pleine expansion.
Michel Slomka
C’est un lieu auquel on revient toujours mais que l’on atteint jamais. Les témoignages des rescapés, les procès des bourreaux et le travail des historiens ont presque tout dit d’Auschwitz-Birkenau. Pourtant, sa part insondable demeure, hante nos consciences et exige de nous un questionnement sans cesse renouvelé. Les témoins directs des événements ne seront bientôt plus : charge nous incombe aujourd’hui, 80 ans après la libération du camp, d’exercer une mémoire en mouvement, alerte et vivante.
Intranquille.
Vivant, Birkenau l’est. Ni musée ni cimetière, l’ancien camp demeure le lieu d’un massacre inouï, évoluant sous l’action des éléments, du temps et des saisons vers des formes nouvelles auxquelles il nous faut porter attention. Ainsi, dans les zones sans vestiges des premiers temps de l’extermination, le vide et l’effacement ne sont qu’une apparence. Les bois et ceux qui l’habitent — arbres, animaux ou champignons — conservent la trace des disparus et la topographie du crime.
Ce sont des témoins minuscules et fragmentaires. Mais ils rappellent que la mémoire est un processus organique, qu’elle vit et se transmet dans des écologies complexes où humains et non- humains tissent des histoires communes au milieu des ruines.
L’écueil de la disparition est levé, car rien ne disparaît jamais. Le passé continue de s’incarner à chaque instant du présent sous une multitude de formes. Il nous appartient d’en suivre les métamorphoses et de ne jamais cesser d’en faire le récit.
La Galerie du Crous de Paris
Institution de la rue des Beaux-Arts, la Galerie du Crous de Paris accueille chaque année une vingtaine d’expositions individuelles et collectives. Dédiée à l’émergence artistique, elle tisse des partenariats avec les établissements d’enseignement supérieur et le monde de l’art, afin de valoriser la création étudiante et de rendre l’art et la culture accessibles à tous.